Teorema, Nice (France), Musée Masséna

2019 21 novembre - 1er décembre



Exposition personnelle.
En collaboration avec le festival vidéo OVNI.

Lorsque Victor Masséna, prince d’Essling, commanda à la fin du XIXème siècle la construction de sa villa à Nice, il imposa pour cahier des charges à ses architectes, Hans-Georg Tersling et Aaron Messiah, de s’inspirer de la Villa Rotschild qu’il admirait à Cannes et des grandes villas de style néo-classique italien. La proposition d’exposer Teorema à la villa Masséna repose en premier lieu sur l’identité architecturale du bâtiment. La villa milanaise du 16 de la via Palatino qui sert de principal décor au film homonyme de Pier Paolo Pasolini où prennent place l’ensemble des scènes retravaillées dans la série vidéo aurait pu en effet les inspirer très directement. Son plan rectangulaire sur trois niveaux, ses colonnades et son ouverture magistrale sur le parc développent des analogies frappantes avec les deux propriétés balnéaires.

La répartition des différentes vidéos sous forme de parcours dans les espaces du rez-de-chaussée de la villa Masséna travaille à accentuer le rapport étroit qui se développe entre les architectures. Elle joue non seulement sur les effets de réflexion que les espaces présentés dans les vidéos sont susceptibles d’engager avec ceux utilisés dans l’exposition (style architectural, configuration des salles, rapport d’échelle et de volumes, liens entretenus entre intérieur et extérieur, circulation, effets de perspective) mais également sur les analogies qui se construisent entre la fonctions des lieux représentés et ceux de la villa (salle à manger, bibliothèque, jardin d’hiver), entre les éléments structurels (portes, fenêtres, colonnes, cheminées) et de mobilier (tables, commodes, fauteuils, bibliothèques) qui les composent, voire entre les objets d’ornementation qui y sont exposés (portraits peints, statues, etc).

L’un des principaux enjeux de cette proposition consiste à utiliser l’architecture du bâtiment comme une dimension supplémentaire aux stratifications, déjà complexes, que façonnent les images qui y sont introduites, incarnant dans le même mouvement, par le biais du cinéma et de la peinture, la maison des présences fantomatiques qui s’y sont relayées par le passé. Au même titre qu’elle expose pour le film les références picturales sur lesquelles elle pourrait avoir été élaborée en y convoquant l’art du Caravage, l’image vient témoigner fictionnellement de ce qui a pu se dérouler entre les murs de la villa et a construit son identité. Elle creuse temporellement l’espace pour marquer une forme de permanence dans ce qui est susceptible de s’y produire et signifier la propension des codes (esthétiques, comportementaux, sociaux) et des formes à s’y régénérer.

Il est quelque chose qui se joue dans cette superposition de semblable à un vertige de l’espace et du temps qui n’est pas totalement étranger à ce qui se construit dans les œuvres du Caravage et de Pasolini redéployées au-delà du rapport de confrontation que leurs univers respectifs vient engager dans les montages ; une attention particulière portée à l’espace et une forme de suspension du temps qui déplace et enrichit les questions de composition et de codes de représentation mis en œuvre dans chacune des vidéos de la série.

En redéfinissant le champ où se joue la représentation et en servant directement de filtre à la perception des visiteurs, l’architecture du bâtiment met en relief la construction même des images et sensibilise à la manière dont s’y structure le discours qui y est proposé. Elle cadre le regard pour mieux mettre en avant comment il est dirigé et manipulé au sein de la représentation.

Quant au parcours proposé de salle en salle dans la villa Masséna, il engage une forme de construction similaire à celle que met en œuvre dans le film le montage entre les différents blocs narratifs. Laissé à la libre appréciation des visiteurs, il constitue une proposition à des formes de ré-articulation de ses éléments et une invitation à le re-parcourir littéralement à travers de nouveaux modes d’organisation et de perception.

L’œuvre du Caravage participe du même type de complexité. Il propose d’autres fils à suivre dans le réseau arachnéen que tisse la reprise, de toile en toile, de certains thèmes de prédilection du peintre, et que viennent prolonger l’art d’autres représentants de l’école italienne de la Renaissance (quand il s’agit de reconsidérer une scène de conversation dans un parc par le filtre de différentes versions de l’Annonciation), voire celui d’autres courants européens contemporains ou postérieurs (quand il s’agit d’aborder différentes évocations de Descente de la Croix dans l’exploration méthodique d’un album photographique). Le regard s’ouvre alors vers d’autres univers et se perd dans des perspectives constamment renouvelées. Le champ géographique et temporel se redéploie indéfiniment.

Musée Masséna
65 rue de France
06000 Nice
Lu – Di : 11 heures – 18 heures
+33 (0)4 93 91 19 10

Copyright © 2016 Laurent Fiévet