Ann's Dream

2009


Paris, Galerie la Ferronnerie


Installation vidéo pour deux vidéoprojecteurs. Existe sous la forme d’une projection simple ou d’une installation présentant deux montages côte à côte.
2 boucles vidéo de 27 mn.

Ann’s Dream confronte des plans extraits des premières séquences de Whirlpool d’Otto Preminger (Le Mystérieux Korvo, 1949) et un portrait réalisé à la mine de plomb par Pablo Picasso en 1937 représentant Dora Maar endormie. Elle constitue l’unique installation de la série Les Larmes de Lora qui dévoile les références qui y sont proposées à l’œuvre du peintre espagnol et les combine directement au matériau filmique.

Existant sous la forme d’un montage unique où de deux montages projetés côté à côte dans l’espace d’exposition, l’œuvre joue sur des effets d’incarnation et de dissolution des figures, et plus particulièrement du corps du personnage d’Ann Sutton qu’interprète à l’écran Gene Tierney. Saisi au sein d’un fondu enchaîné montré dans son sens normal de lecture ou à rebours qui, tout en le privant de sa substance, contribue à en dédoubler la représentation à l’image, ce dernier constitue le noyau central autour du quel se déploient ou convergent l’ensemble des motifs de la représentation. Ouvrant ou refermant régulièrement le cadre derrière lui, il finit par retenir le regard du spectateur en l’enveloppant à travers une série de mouvements rotatifs.

Ce processus d’engendrement et de décomposition des figures, que vient compliquer les apparitions du dessin de Pablo Picasso, orchestrant à travers ses apparitions régulières d’autres effets de démultiplication du buste d’Ann Sutton, est conçu dans l’esprit du classique de Don Siegel Invasion of the body Snatchers (L’Invasion des profanateurs de sépulture, 1956). Sous le regard de figures inquiétantes et anonymes qui, en se penchant sur lui, semblent analyser chacune de ses réactions, le corps d’Ann perd de sa consistance pour se réincarner un peu plus loin dans l’image. Pris de malaise, il vacille et choit sur le sol ou, dans un mouvement exactement inversé, se redresse avec lenteur comme le ferait une plante au contact de la lumière. Prisonnier des corps qui l’encerclent et que viennent redoubler ceux des spectateurs devant la projection, il cherche à échapper à leur emprise et retenir ses gestes aux prix d’une certaine artificialité. Malgré quelques mouvements diffus d’ouverture aux ondulations toutes aquatiques, il ne parvient jamais à s’en libérer.

Contrairement aux deux autres montages de l’ensemble des trois rêves de la série des Larmes de Lora, Mark’s dream et Lucy’s dream, présentés à Marseille dans le cadre de l’exposition Reflux, les extraits choisis dans Whirlpool ne constituent pas des séquences de sommeil à proprement dit. C’est le portrait de Dora Maar qui introduit plutôt cette dimension au sein de l’œuvre pour en déplacer la perception. L’usage du ralenti renforce cette évocation en travaillant à l’idée d’un engourdissement. La représentation du rêve est toutefois très différente que celle imaginée pour les deux autres montages. Excluant le spectateur de son contenu, Ann’s dream préfère n’en retenir que les manifestations extérieures et en déplacer les vibrations.

L’apparition par moments à l’image de récipients en cristal derrière lequel glisse la silhouette de Gene Tierney rappelle le dispositif de Xy³ – Nu à la vitrine qui expose un montage à partir d’extraits de Laura d’Otto Preminger derrière un ensemble de bouteilles et des carafes. En résonance avec les thèmes déployés dans cette installation inaugurale de la série de Les Larmes de Lora, leur présence souligne la fragilité d’un corps régulièrement évidé au sein de la projection et annonce le processus de vampirisation que met en place le montage.

Si, en référence aux thèmes du film de Don Siegel, le regard du spectateur s’en trouve naturellement dénoncé dans la propension toute particulière qui est la sienne d’objectiver le sujet en présence, d’épuiser son corps dans le mouvement vrillant de la scrutation, il pointe également la dynamique d’échange que l’œuvre met en place entre les représentations des corps de Dora Maar et de Gene Tierney. On ne saurait ici déterminer qui du dessin ou du film nourrit l’autre, en absorbe insidieusement le contenu.

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