Installation vidéo pour deux vidéoprojecteurs ou deux téléviseurs.
2 montages vidéo de 32 mn 32 chacun (Stop) ou de 16 mn 03 et 19 mn 05 (Italian Stop).
L’installation confronte sur deux écrans placés face à face dans l’espace d’exposition deux montages réalisés à partir d’extraits de Voyage en Italie de Roberto Rossellini (1954) et La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959). Leur disposition permet d’engager entre eux différents types d’effets de communication et de contamination.
Ces rapports diffèrent en fonction de la version de l’installation présentée. La première, Stop, engage un rapport strict de synchronisation entre les deux écrans et programme donc rigoureusement les échanges exposés. La seconde, Italian Stop, confronte deux montages de longueurs différentes et met ainsi en place des rapports d’interaction plus aléatoires.
L’installation se déploie autour de deux grandes figures absentes, dites en creux. La première, la célèbre Pietà de Michel-Ange de Saint-Pierre-de-Rome, y apparaît reconstituée et revisitée à travers des effets de surimpression réalisés au sein des deux montages ; une juxtaposition de plans extraits des films d’Alfred Hitchcock et de Roberto Rossellini permet d’y recréer le couple initialement formé par le Christ et Marie. L’installation travaille à cette apparition au sein de chacun des deux films avant de les confronter et en entrecroiser les matériaux. L’incarnation et la modernisation des figures de Michel-Ange engagent avec elles un effet de distanciation qui permet d’interroger la teneur de la scène représentée et de la mettre en perspective. Fuyante, elle ne cesse pourtant de se dérober à l’attention du spectateur.
Le second objet de référence autour duquel s’organise l’installation est le film Les Enchaînés d’Alfred Hitchcock (1945), qui avait constitué le terrain d’une première rencontre entre Cary Grant et Ingrid Bergman, principaux intervenants au sein du dispositif. A travers le face à face qu’elle met en place dans un premier temps entre les deux acteurs, montrés une dizaine d’années après la réalisation des Enchaînés, l’installation propose un prolongement narratif au récit hitchcockien en se référant aux thèmes abordés dans Voyage en Italie et La Mort aux trousses. Le passage du temps a visiblement entraîné un effet d’usure au sein du couple que formaient les personnages incarnés par les deux acteurs. Il fait ressurgir sous les masques, rancœurs, incommunicabilité et frustrations et remet ainsi en cause le happy end sur lequel se concluait le film de 1945.
La réflexion sociologique prévaut cependant sur l’analyse filmique pour interroger de manière plus large le devenir du couple. L’analogie des figures utilisées dans chacun des deux montages tend en effet à reconstituer au sein de l’installation deux versions d’une même histoire qui serait relatée par deux personnes différentes (d’un point de vue strictement féminin incarné par Ingrid Bergman et d’un point de vue masculin relayé par Cary Grant). L’absence de désignation de place pour le spectateur au sein de l’installation oblige ce dernier à tourner régulièrement la tête, à privilégier un écran au détriment de l’autre et prendre en compte une version plutôt qu’une autre de l’histoire.
Le spectateur est dès lors pris en étau, comme introduit malgré lui au sein d’un conflit conjugal où il refuserait de prendre parti. Chacune des versions impose un style et un récit qui lui est propre avant que les champs ne s’emmêlent et que les montages tentent sans succès de reconstituer le puzzle narratif mis en place.
Stop et Italian Stop se réfèrent également ouvertement à l’art de la statuaire. Outre la Pietà de Michel-Ange, elle aborde les mythes de Méduse et de Pygmalion à travers l’intervention sur les écrans de statues (extraites de Voyage en Italie) dont les attitudes rappellent celles adoptées par Cary Grant et Ingrid Bergman tels qu’ils figurent dans les montages. Les regards échangés, mais aussi parfois déviants, tantôt incarnent la pierre, tantôt figent les corps. Ils établissent implicitement des chemins de traverse entre les matériaux du film et de la statuaire, initient une trajectoire entre cristallisation amoureuse et pétrification.
L’apparition répétitive de la Pietà de Michel-Ange invite le spectateur à opérer mentalement un figement des figures filmiques que le montage déjoue en refusant la pause ou le ralenti, pourtant systématisé dans un premier temps. L’intervention récurrente sur la bande sonore d’un « Stop » à la teneur presque obsessionnelle accuse cette défaillance. Mouvement et immobilité constituent ainsi les pôles autour desquels se déploient l’installation et ses figures.
Chacun des films présentés constitue dans son genre un modèle esthétique et un modèle dans le panthéon cinématographique. A travers la référence à la statuaire, l’installation érige les acteurs au statut de héros antiques et sacralise les personnages qu’ils incarnent. Les connaissances du spectateur sur les acteurs et les films et les émotions qu’ont suscité sur lui les œuvres citées lestent les corps, chargent la rencontre initiée au sein de l’installation, introduisent un obstacle au sein du rapport qui condamne irrémédiablement l’avenir du couple.