Octobre 2008 - Retour à Marienbad

2008


Paris, Galerie la Ferronnerie


Installation vidéo pour un vidéoprojecteur, un miroir et seize ouvrages d’Alain Robbe-Grillet.
1 montage vidéo d’1 heure 04 minutes.

Dans l’installation Octobre 2008 – Retour à Marienbad, une manipulation a consisté à faire basculer de haut en bas, par un simple effet d’inversion horizontale, seize plans emblématiques de L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais et d’Alain Robbe-Grillet (1961). Bien que restant identifiables pour certains spectateurs, leur perception s’en trouve nécessairement modifiée. Les jeux de perspective sont ainsi bouleversés. Les architectures deviennent floues et vacillantes par opposition aux reflets qu’elles dominent. Initialement découvert, l’horizon se bouche, obstrué par une série de buissons et de balustrades. Dans le flux des mouvements de caméra, le champ se referme pour mieux retenir le spectateur captif ou le rejeter hors de l’image.

La construction du montage se réfère au déroulement du jeu qui traverse l’ensemble du film. Il est composé à la base d’un cycle de seize fragments répartis en quatre catégories (sept plans où apparaît un château dans la profondeur de champ, cinq qui s’attardent sur l’allée centrale d’un parc, trois consacrés à un couple de statues, un dernier présentant l’eau d’un bassin) séparés par des plages de noir de durées variables. Une fois le cycle des seize fragments achevé, le montage engage un deuxième cycle en respectant le même ordre de présentation des éléments mais en y soustrayant un ou plusieurs fragments d’une même catégorie (un plan consacré à l’allée disparaît ainsi dans le deuxième cycle, deux plans du parc dans le troisième, un plan de statue dans le quatrième et ainsi de suite). Le principe est réitéré jusqu’à élimination, à la fin du neuvième cycle, de l’ensemble des soixante-seize fragments que comprend le montage ; présenté en boucle, ce dernier reprend alors à son commencement.

Chaque fois que l’un des fragments est repris dans le cycle qui suit, il subit systématiquement une modification figurative et sonore. Il fait ainsi l’objet, tout au long du montage et jusqu’à son élimination, d’une série de variations d’ordre parfois infime (de une à neuf selon les éléments). Le spectateur est invité à repérer les différents changements opérés – devenant nécessairement plus visibles au fur et à mesure que les fragments se raréfient (et que les variations autour d’un même élément se rapprochent consécutivement dans le montage) ainsi que la nature des manipulations effectuées – et dont les plus flagrantes (imaginées dans l’esprit de certaines réalisations d’Alain Resnais) finissent par contaminer la perception de l’ensemble des plans rassemblés (dilution du rythme des images, inversion de leur ordre de succession, scission du cadre pour mettre en place des effets de réflexion, utilisation d’une bande sonore qui ne correspond pas dans le film à celle des plans présentés, coupe effectuée dans les dialogues, restructuration de la musique, etc.)

La plupart des fragments sont accompagnés par des bribes de texte extraites de L’Année dernière à Marienbad. Articulées les unes aux autres, elles tissent la trame d’un récit parcellaire que le visiteur peut, s’il le souhaite, prendre en considération. Ce récit se modifie à chaque reprise de cycle (à la fois en raison de la disparition de certains des fragments exposés et des changements opérés sur un même fragment d’un cycle à l’autre) au point d’orienter la forme constituée vers de nouvelles directions, voire de la déconstruire en référence à la structure du film et les expérimentations scénaristiques menées par Alain Robbe-Grillet.

C’est ainsi qu’un même parcours dans le parc du château imaginaire de Marienbad est soumis à des modifications constantes, finissant par perdre le visiteur dans un labyrinthe comparable à celui que semble parcourir Delphine Seyrig dans les plans qui ouvrent chacun des différents cycles. Evoluant au rythme d’une valse lente comme une poupée dans une boîte à musique, la jeune femme vient y relayer le visiteur au sein d’un paysage peu à peu rogné et déserté. Elle devient en ce sens une sorte de double de son regard, conformément au statut qu’on est susceptible de lui prêter dans le film d’Alain Resnais et d’Alain Robbe-Grillet – où la jeune femme que campe l’actrice (désignée dans le scénario par la lettre A) finit par se plier, malgré ses réticences, à la direction du personnage incarné par Giorgio Albertazzi (X), comme le serait un spectateur progressivement happé dans le mouvement du récit.

Contrairement à L’Année dernière à Marienbad et à sa conclusion libératrice, Delphine Seyrig ne parvient pas cependant à trouver d’issue à ce piège inextricable. Elle finit par s’éteindre à l’image d’un Jack Torrance, statufié dans le parc de l’Hôtel Overlook (Jack Nicholson dans The Shining de Stanley Kubrick, 1980). Un coup de feu suggère son écartement du plan de jeu avant que la valse lente reprenne et que le visiteur retrouve sa silhouette flotter au fond de l’allée.

Un miroir (pouvant être remplacé par une surface d’eau dans le contexte d’une projection plus imposante) a été placé sur le sol, devant la surface de projection. Réfléchissant les images du montage, il rétablit, en refaisant basculer de bas en haut les images projetées, une certaine mémoire du film, bien que, à l’instar des souvenirs qu’est susceptible d’en avoir le spectateur, altérée par les différentes manipulations opérées. En fonction de sa position dans l’espace consacré à l’installation, le spectateur peut inclure ou non cette réflexion dans son champ de vision, la faire pivoter plus ou moins par rapport au plan de projection de façon à aligner les deux images sur un même plan ou au contraire les articuler sur deux axes différents. Ce rapport au miroir que permet le refus d’assigner un emplacement précis au spectateur dans l’espace d’exposition, renvoie d’une certaine façon à l’approche analytique que peut engager le visiteur face à l’installation en sollicitant plus moins l’œuvre d’Alain Resnais et d’Alain Robbe-Grillet, nécessairement inconnue chez certains spectateurs.

La réflexion permet également de mettre en place une sorte de feuilletage du Temps en articulant à la temporalité du montage, signifiée par le titre de l’installation comme contemporaine, celles du film de 1961 et, plus ancienne, de l’architectures et du jardin représentés. Si elle peut apparaître dans un premier temps comme une assistance à la vision et rétablir une mémoire infidèle du film, elle peut tout autant contribuer à générer un certain malaise en accentuant les effets d’enfermement du cadre et d’absorption du décor par les mouvements de caméra ou en provoquant dans un certain rapport de distance avec le miroir, un effet d’écrasement des images en les entrechoquant l’une contre l’autre. Renforçant les jeux de symétrie, elle met également en place des effets kaléidoscopiques qui participent à la construction labyrinthique de l’œuvre.

Seize ouvrages d’Alain Robbe-Grillet ont été également rassemblés devant la projection. Dans un processus comparable à celui qu’engagent les dialogues égrainés par la bande sonore, leurs titres proposent autant de cadres d’interprétation pour aborder l’installation. Il en est qui invitent à prendre en compte la structure du montage (Dans le Labyrinthe), la nature de ses éléments constitutifs (Instantanés) ou les manipulations visuelles et sonores qui y sont opérées (Les Gommes, Le Miroir qui revient). Il en est qui invitent le visiteur à interroger le statut de l’installation (Topologie d’une cité fantôme, Souvenirs du Triangle d’Or) ou la démarche de son auteur par rapport à l’œuvre filmique retravaillée (La Reprise, Le Voyeur). Il en est qui, en référence au contexte de la crise économique auquel le titre de l’installation renvoie, imposent un point de vue sociologique et politique (Projet pour une révolution à New York) en présentant le travail comme une illustration des dérives actuelles de la société française (structures architecturales mouvantes, horizons bouchés) et les menaces qu’elles génèrent sur l’équilibre social (Un régicide). Il en est d’autres, enfin, qui proposent, plus simplement, une approche romanesque (Glissements progressifs du plaisir, Djinn – un trou rouge entre les pavés disjoints) et pointent l’ambiguïté des figures représentées (L’Immortelle). Disposés en triangle conformément à la structuration du jeu de L’Année dernière à Marienbad (mais pouvant être également manipulés et déplacés dans l’espace consacré à l’installation), ces ouvrages proposent autant de clefs mais également autant de moyens de se perdre.

Il est à noter que cette structure mise en place au pied de la surface de projection varie en fonction de l’édition du montage présentée dans l’espace d’exposition. Choisis dans une liste composée de dix-huit ouvrages publiés aux éditions de minuit (parmi lesquels ne figure jamais le scénario du film d’Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet), les seize livres proposent une grille de lecture lacunaire (bien que représentative de l’œuvre de leur auteur) qui est elle-même (d’une présentation à l’autre de l’installation ou en cours d’exposition) soumise à des fluctuations. Si chacun des titres peut être mis en rapport avec la démarche de Octobre 2008 – Retour à Marienbad, il peut l’être également avec le contenu du fragment qui lui correspond structurellement dans le montage (le premier livre de la rangée supérieure renvoyant au plan qui introduit le parcours imagé, et ainsi de suite) de façon à souligner un aspect particulier de l’installation ou du point de vue qu’elle porte sur le film d’Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet. Dans les cinq premières éditions, les plans ne sont jamais associés au même ouvrage pour déplacer la nature de l’expérience proposée.

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