Wool Stockings

2011


Wool Stockings - photogramme



Montage vidéo de 04 mn 23.

Basé sur le ballet-titre du film de Rouben Mamoulian Silk Stockings (La Belle de Moscou), le montage procède d’une intervention minimale sur le fragment filmique d’origine. Tout en respectant le déroulement de la musique envoûtante créée par Cole Porter pour ce moment charnière du récit où le personnage de Ninotchka, interprété par Cyd Charisse, essaie pour la première fois la sensation que procure le port des bas de soie, il se contente d’inverser le flux de la chorégraphie en déroulant les plans de la séquence à rebours.

C’est ainsi que contrairement au film de Rouben Mamoulian qui faisait progressivement glisser Ninotchka sur la pente sulfureuse de la tentation capitaliste en l’invitant, après avoir ôté à la hâte ses vêtements grossiers d’agent de l’Est, à endosser cérémonieusement les pièces froufroutantes d’une toilette à la sophistication toute parisienne, le montage préfère entraîner le personnage vers la définition d’une identité aux résonances soviétiques. La fameuse paire de bas de soie qui faisait céder chez Rouben Mamoulian l’intransigeante Ninotchka se voit dès lors écartée au profit d’une paire de bas de laine noirs sous le regard approbateur d’un Lénine faisant une apparition à la toute dernière seconde du montage par l’intermédiaire d’un portrait photographique.

Il ne s’agira pas de relever ici, conformément à la construction scénaristique du film de Rouben Mamoulian, l’emprise exercée sur Ninotchka pas l’endoctrinement communiste (épousant aussi sûrement les mouvements de son corps que le ferait un corset trop solidement noué), voire de souligner, plus largement, les incidences que peut mentalement exercer sur un individu toute présence affirmée d’une idéologie politique.

Dans ce jeu de retournement, qui interroge à l’échelle du film, sous la forme d’un numéro de strip-tease l’essence de la séduction de Ninotchka, le montage propose davantage un regard critique sur les dérives actuelles du marché des rencontres matrimoniales où la Russie et les pays de l’Est, pendant longtemps négligés, exercent un nouveau type d’attrait sur les célibataires des classes moyennes de pays de l’Europe occidentale. La perception rassurante de femmes de l’Est y prend en effet l’ascendance sur la frivolité prêtée à leurs homologues des pays de l’ouest dont les trop grandes appétences de biens de consommation et liberté de comportement sont alors déplorées. Dans la dynamique qu’engage le montage à vouloir rhabiller, presque malgré elle, Ninotchka, à en masquer les charmes et les attraits, se voient ainsi dénoncés les ombres actuellement portées sur les femmes par les mouvements conservateurs, soucieux de raviver les règles hiérarchiques du passé et, dans le champ de la lutte des sexes, les résistances exprimées par l’opinion publique à l’idée d’une application d’une stricte parité.

Dans les figures de cette chorégraphie insidieusement enivrante, ce n’est donc plus simplement Ninotchka qui semble rattrapée par son passé ou les craintes que semble susciter chez elle l’ébranlement de ses repères idéologiques et la tentation de vouloir s’en affranchir mais l’image actuelle de la femme, trop souvent encore affectée par les répercussions de siècles de domination masculine.

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