Exposition collective avec Leila Alaoui, Janet Biggs, mounir fatmi, Shaun Gladwell, Maha Kays, Ali Kazma et Frank Smith.
Commissaires : Paul Ardenne and Barbara Polla.
Sur une invitation de Nabil Canaan.
Les thèmes de la mémoire comme de l’oubli sont profondément associés à la vie même du Liban et de Beyrouth, et la présentation de cette exposition, qui fait suite à Body Memory présentée à Paris en juillet 2015 à Topographie de lart, a trouvé naturellement sa place à Station Beirut, grâce à l’invitation de Nabil Canaan.
La mémoire est une dimension essentielle de notre rapport au temps : elle rend la vie complexe et interdit l’éternel présent. Diversement lourde ou légère, elle substantifie une relation à un temps du corps qui n’est jamais homogène. La mémoire des Etats politiques, de la sorte, ne peut être celle des individus, l’une et l’autre ne peuvent se superposer en perfection. Acte individuel portant dans certains cas à l’expression d’un fait collectif, la mémoire dont l’art peut se faire le support est, pour cette raison, complexe, fluctuante, traversée par l’hétérogène. La subsistance du temps qu’elle consacre élit le principe d une mémorialisation protéiforme. La mémoire n’existe pas, mais les mémoires au pluriel, oui. La mémoire est cérébrale et corporelle, mais aussi cellulaire, immunitaire, électronique et physique ; elle est sociale et collective. D’où son extraordinaire complexité.
Mais toutes les mémoires ne se valent pas, sans aucun doute. Tantôt lon visera la nostalgie, cette mémoire lourde, où le passé englue le présent. Tantôt, une mémoire de justice, dont on use pour régler des comptes non soldés. Tantôt, une mémoire de la commémoration, dont la vocation première est de maintenir l’événement passé à l’état de monument. Tous les artistes n’en usent pas de la mémoire dans une même et unique perspective, les différentes entrées citées ici pouvant se combiner, se tourner le dos, se fuir ostensiblement.
Sans oublier le corollaire, l’indispensable compagnon de la mémoire, l’oubli, facteur d’allégement, de soulagement, de régénération, de renaissance, de vie enfin. La perte de mémoire, toutes les pertes de mémoire, celle de la fin de vie en particulier, plutôt que d’être considérées comme des phénomènes négatifs, pourraient aussi être perçues comme un retour à l’antériorité, à la virginité mémorielle, comme le vecteur d’une possible « revivance ».
Où Beyrouth est sans conteste, entre les villes historiques à la fois nées de très anciennes civilisations et fortement ancrées dans le présent, de celles qui contiennent à la fois, dans le même étau, mémoire et oubli. Mémoire du passé, de tous les passés, glorieux et terribles ; mémoire de la guerre. Oubli lié au passage du temps long ; oubli actif, volontaire, mâtiné de nostalgie ; oubli relatif et fragmentaire où transparaissent traces, cicatrices, morts, disparitions non élucidées d’être chers devenus fantomatiques. Garder en mémoire pour donner chair au passé, oublier pour permettre le libre présent mais pas à n’importe quelles conditions. Memory & Oblivion, un couple indissociable. Car l’oubli, en réalité, n’existe pas, l’enfouissement actif de souvenirs traumatiques n’est qu’une tentative de pacification dont la mémoire, le plus souvent, se venge avec aisance. Seule la transformation, par la création, quelle qu’elle soit, permet finalement cet oxymore célèbre de Boris Cyrulnik : le « merveilleux malheur ».
La vidéo procède comme la mémoire : l’image vidéo passe au statut de souvenir dès qu’elle n’est plus sous nos yeux ; l’enregistrement de ce qui est vu et le « stockage » de l’image sont quasi simultanés. Nous pourrons ensuite faire appel aux images ainsi « stockées », conservées, tout comme la mémoire fait appel à un souvenir précis quand nous en avons besoin (phénomène de « déstockage »). La vidéo, miroir de la mémoire : une caméra qui filme, stocke et recycle l’immense quantité d’images et de données que nous accumulons au cours de notre vie. Le mouvement, l’instabilité et l’incomplétude des images vidéo requièrent de la part de l’observateur la mobilisation de sa mémoire et maintiennent en alerte permanente son système perceptif. On peut donc dire que la vidéo, dans son médium même, propose un paysage de perception dans lequel l’espace et le temps rendent compte dune pensée en images, qui est le fonctionnement de la mémoire même.
Station Beirut
Sector 66, Street 90
Sin El-Fil
Jiser El Wati – Beirut (Lebanon)
Ouvert du Lundi au samedi
de 10 heures à 19 heures.
Tel : +961 71 684 218
www.stationbeirut.com