Suites baroques

2015-2023

Les montages vidéo des Suites baroques ont été exclusivement réalisés à partir d’extraits de L’Innocente (1976), le film testamentaire de Luchino Visconti. Chacun d’entre eux redéploie un ou plusieurs passages du film dans une organisation qui, plus qu’elle ne cherche pas à en respecter le déroulement séquentiel ou la chronologie des événements qui en structurent le scénario, s’efforce d’en dégager une palette d’ambiances caractéristiques et y mettre en relief la présence marquée de parfums qui participent de l’atmosphère oppressante du récit. 

Ces présences olfactives apparaissent non seulement induites dans le film par des motifs faisant une incursion plus ou moins appuyée à l’image (présences florales abondantes aussi bien dans les scènes d’intérieur que d’extérieur, fragrances utilisées par les personnages, effluves des alcools servis), que d’éléments pouvant leur être figurativement associés (dessins brodés sur les meubles et les tentures, détails des vêtements et accessoires portés, retomber des étoffes et des voilettes). Ils peuvent aussi être signifiés par l’intervention de procédés purement plastiques et cinématographiques induisant le flottement de ces essences dans l’espace ou leur interposition entre les corps et la caméra (dynamiques de la couleur, modulations de la lumière, travail sur les flous et la profondeur de champ, utilisation de travellings optiques, etc).

Tout en soulignant la richesse de cette palette d’effets sensoriels, les cinq sonates qui ont servi de trame à la réalisation des montages en proposent différentes formes de correspondances. Elles ne manquent pas ainsi d’engager le public dans un double mouvement d’analyse qui contribue à éclairer certains aspects des œuvres qui y sont associées.

Au même titre que les concertos contribuent à mettre en relief la musicalité du plan viscontien, elle-même exaltée par la nature du travail réalisé autour des images utilisées, les montages s’efforcent de restituer des dimensions propres à la musique exécutée, aussi bien en matière de timbres, de rythmes, d’impulsions et d’articulations qu’à travers la nature des gestes détournés. Ici, le tomber d’un gant rappelle discrètement le phrasé exécuté par le claveciniste sur son clavier. Là, un baiser soutenu évoque le mouvement des lèvres de la flûtiste sur son instrument. A un autre moment encore, le déploiement d’une étoffe souligne la fluidité de l’exécution. L’enchaînement des images, principalement retravaillées par des mouvements de va-et-vient dans le déroulement de la matière filmique viscontienne, permet de structurer une partition musicale autonome qui plus qu’elle ne l’illustre, converse avec celle que proposent, dans la durée du concert, l’enchaînement des morceaux associés en la soutenant ou en proposant au contraire des formes de contrepoint. Celle-ci commente ou rejoue différemment le rapport qui se met en place entre les instruments, voire le déplace vers d’autres colorations une fois que la musique a cessé d’être émise pour matérialiser quelque chose de propre à l’émotion qu’elle a engendrée, la trace de ce qu’elle a su produire dans l’esprit du spectateur, à l’instar du sillage d’un parfum.

Si une forme de dualité s’inscrit systématiquement au cœur de chacun des montages pour renvoyer au dialogue engagé dans les différents concertos entre la flûte et le clavecin, l’intervention systématique à l’écran des trois personnages principaux du film (interprétés respectivement par Giancarlo Giannini, Laura Antonelli et Jennifer O’Neill) construit dans l’enchaînement des suites une forme de trio chorégraphique qui renvoie à celui que propose l’association de la musique, des images et des parfums. L’expression du désir qui y occupe une place centrale et y impose entre les concertos des formes d’articulation se fait dès lors le commentaire des interactions possibles entre ces différents registres et de la faculté qu’en a le spectateur à les articuler les uns aux autres.

VI
(2023)

V
(2023)

IV
(2023)

III
(2023)

II
(2023)

I
(2023)

Copyright © 2016 Laurent Fiévet