Ten

2018

La série Ten a été réalisée à partir de dix adaptations cinématographiques, plus ou moins officielles et assumées comme telles, du roman Dix Petits Nègres (Ten Little Niggers) d’Agatha Christie. Elle propose des structures lacunaires de ces différentes œuvres, qu’elles prennent la forme d’inventaires de sons extraits des différents films ou de collections de photogrammes travaillant autour de motifs ou de thèmes communs à la plupart d’entre eux.

Dix bandes sonores restituent les trames ajourées de chacune des adaptations. De durées identiques à celle des films à partir duquel elles ont été réalisées, elles n’en retiennent que dix sons, restitués au sein des enregistrements aux moments précis de leur intervention dans le déroulement du récit. Dialogues et musiques d’ambiance y ont été systématiquement exclus pour ne garder que des bruits, le plus souvent furtifs et incisifs, représentatifs des ambiances des différents films et des événements dramatiques qui y sont relatés.

Diffusées simultanément et de manière non synchronisée à partir de dix points d’écoute, marqués chacun par la présence d’une enceinte noire, les dix bandes sonores engagent entre elles une forme de dialogue dans leurs effets d’échos et de possible contamination. Le réseau qu’elles structurent construit un paysage sonore déployé sur les lieux d’exposition, fonctionnant par juxtaposition de strates et travaillant à des effets de profondeur. Imprévisibles malgré la présence ostensible des enceintes noires qui en signifient la possible intervention et surgissant parfois après d’importantes plages de silence, les sons égrainés ont moins pour objet de prêter à une forme attentive d’écoute qui ne manquerait pas, en raison de la rareté des éléments, d’entraîner un sentiment de frustration et de perplexité chez les auditeurs, que de surprendre ces derniers dans leur parcours au moment de leurs déplacements dans les lieux. Ouvrant des portes sur leur imaginaire, ils sont toutefois susceptibles de s’incarner, au détour d’une salle, dans les registres d’images sans qualité disséminées sur les lieux d’exposition.

Si Ten ne manque pas de pointer, à partir d’un panorama de films réalisés sur une période de soixante-dix ans, la stylisation des sons et des images à l’œuvre au cinéma, de commenter, à travers leur articulation à partir d’une même source littéraire, l’évolution historique et les spécificités géographiques de leur traitement à l’écran, voire de dresser une sorte d’inventaire des ambiances caractéristiques d’un genre cinématographique particulier qui serait celui du film policier, la série commente surtout, dans l’utilisation qui est proposée d’un matériel où a été consciencieusement gommée toute représentation de figure humaine, la propension de certains souvenirs, images et sensations anciennes à surgir inopinément dans nos esprits et plus encore notre manière de gérer ou de nous accommoder d’une forme de culpabilité qui serait liée à notre histoire ou certains de nos agissements passés ; pour dire les choses autrement, Ten renvoie très directement au travail de notre inconscient.

Le thème de la culpabilité est l’un des principaux ressorts du roman d’Agatha Christie. Les meurtres successifs opérés dans le récit par une main tout aussi implacable qu’énigmatique – puisque demeurant, jusqu’à l’épilogue, non identifiable malgré le rétrécissement du champ des possibilités -, semblent en effet liés à la manière dont chacun des personnages aborde la mémoire d’un crime qu’il a commis avant son arrivée dans l’île où il est retenu captif en compagnie de neuf inquiétants congénères qu’il sait pareillement coupables d’homicides et dont il sait que l’un d’entre eux mettra tout en œuvre pour l’assassiner ; c’est comme si sa mauvaise conscience finissait par se retourner contre lui et avoir raison de lui après l’avoir contraint à considérer son crime en pleine lumière.

C’est bien cette propension d’une situation ou d’un contexte particulier à faire ressurgir, sans qu’on ne s’y attende, les traces d’un héritage individuel ou collectif, qui semble modélisé dans l’expérience sonore proposée au sein de l’installation. Et cette expérience possible du travail de l’inconscient qui y semble scénarisée.

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