Portrait au narcisse

2006


La Haye, Galerie Ramakers


Installation vidéo et olfactive, en collaboration avec Alexis Dadier, créateur de parfums, pour deux vidéoprojecteurs avec deux canapés et différents objets et accessoires.
2 boucles vidéo de 17 et 30 minutes, 1 parfum.

Portrait au narcisse est consacré au personnage de Frances Stevens que Grace Kelly incarne dans To Catch a Thief (La Main au collet, 1955).
Deux canapés placés pratiquement face à face dans l’espace d’exposition ont été disposés pour servir de surface de projection à deux montages vidéos. Sur le premier, est présenté de manière répétitive, mais à des fréquences et des rythmes différents chaque fois, un plan extrait du film d’Alfred Hitchcock où l’on voit le personnage de Frances endormi sur le divan d’une chambre d’hôtel. Sur l’autre vidéo, projetée sur le deuxième canapé, Laurent Fiévet s’est filmé dans une pose comparable.

L’installation expose à travers un certain nombre d’indices les références picturales qui sont travaillées dans le plan de To Catch a Thief. Placé sur l’un des deux canapés, un exemplaire du Parfum de Patrick Süskind arbore en couverture un détail de Jupiter et Antiope de Watteau dont se serait inspiré le cinéaste pour la composition de l’image. Un narcisse en tissu, utilisé en marque-page, aborde de manière plus allusive, la référence proposée conjointement à Echo et Narcisse de Poussin.

L’ensemble de ces indices induit un processus analytique que commente l’attitude de Jupiter dans la composition de Watteau, soulevant le linge qui enveloppe le corps de la nymphe Antiope à laquelle est identifiée Frances dans le plan. Plus qu’il ne relève de l’exposition, le portrait procède en effet par dévoilement. Il met en place un jeu de déshabillage qui consiste moins en celui du corps abandonné du personnage que du plan dans lequel il est représenté.

Déjà, dans le plan de To Catch a Thief, le soulèvement d’un rideau que met en mouvement un souffle d’air s’engouffrant par une fenêtre ouverte permet de guider le regard du spectateur dans la profondeur de l’image et de préciser la nature que revêt cette exploration. L’effeuillage des strates imagées du plan semble ainsi amorcé chez Hitchcock avant même d’être relayé et redéployé au sein de l’installation.

Les figures mythologiques de Narcisse et d’Echo représentées dans la composition de Poussin renvoient pour leur part au processus de réflexion que met en place le double registre référentiel sur lequel repose le plan utilisé dans le portrait. Le jeu de miroir qu’engage la disposition des deux canapés en reconduit d’ailleurs clairement le mouvement. Tout en prolongeant le phénomène d’écho en offrant au spectateur une nouvelle couche imagée construite à partir du plan de To Catch a Thief, la vidéo où apparaît Laurent Fiévet fait en effet intervenir la dimension narcissique d’une auto-représentation.

Il s’agit d’ailleurs de la première fois que l’artiste engage aussi directement son image dans l’une de ses installations. À l’ajout de cette strate supplémentaire vient s’opposer dans la logique d’effeuillage préconisée l’effet de déshabillage d’un corps par moments totalement dénudé et dont le sexe renvoie plus directement à la figure du jeune homme de Poussin. Masculin/Féminin ; Voiler/Dévoiler.

Un dialogue silencieux s’engage ainsi entre Frances et l’image de l’artiste, tantôt représenté endormi comme le personnage de To Catch a Thief, tantôt les yeux ouverts en direction du second canapé. Dès lors, la confrontation ne relève pas seulement d’un effet de réflexion qui entraîne une identification de Laurent Fiévet à Frances, Antiope ou Narcisse ; elle se fait également échange qui assimile tout aussi sûrement le vidéaste à Jupiter, Echo et Robbie the cat, le personnage interprété par Cary Grant dans To Catch a Thief.

Ce second registre d’identification contribue à mieux révéler la dimension olfactive de l’image, introduite par un double mouvement d’analyse et d’auto-projection dans l’univers de la fiction. Abordée à travers le titre de l’ouvrage de Süskind, celle-ci trouve une matérialisation discrète sur le narcisse en tissu glissé entre ses pages dont les pétales ont été humectés d’un parfum spécialement conçu pour le dispositif.

Le livre devient ainsi à sa manière une métaphore de l’image filmique en restituant à travers sa structure les effets de stratification que mettent en place les différentes générations d’images sollicitées (Poussin, Watteau, puis Hitchcock). Comme le souligne le mode d’exposition du narcisse, c’est dans ce feuilletage que le parfum du plan révèle toute sa puissance et toute la richesse de sa palette.

Libre de venir s’asseoir ou de s’allonger sur les canapés, le spectateur peut prolonger cette dynamique d’engendrement en impliquant à son tour son image et en la combinant à celle des projections vidéo. Il pourra ainsi adopter comme il l’entend les postures d’acteur, de spectateur ou d’exégète des films.

Un positionnement comparable le mettait déjà en scène dans le projet des Constellations des Suites hitchcockiennes qui déployaient les représentations de Madeleine dans Vertigo (Sueurs froides, 1957). La pose du personnage filmique et l’utilisation des canapés au sein de l’installation sont d’ailleurs autant d’éléments qui renvoient à ce projet plus ancien. Un effet de volte-face s’est toutefois opéré d’une installation à l’autre pour modifier le dialogue engagé entre le spectateur et l’image cinématographique.

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