Happy Scream

2006


Paris, Institut finlandais



Installation vidéo pour quatre téléphones portables avec différents supports visuels.
4 montages vidéo de 4 mn 20.

Dans la version de Scream présentée en 2003 à Hyvinkää, inspirée à la fois du film homonyme de Wes Craven et du Cri d’Edvard Munch, le dispositif scénographique invitait les visiteurs à découvrir les images de l’installation depuis deux cabines téléphoniques dressées dans une salle rectangulaire ; en décrochant le combiné à l’intérieur de l’une d’entre elles, il pouvait déclencher quatre projections autour de lui et revivre, à travers les scènes apparaissant sur les murs de la pièce, l’expérience de Melanie Daniels dans The Birds, au moment où elle assiste, depuis une autre cabine téléphonique, à l’attaque du port de Bodega Bay. La diffusion des montages de Scream sur les écrans de quatre téléphones portables, suspendus, comme dans Irruption, par leur fil au plafond déplace le propos initial de l’installation. En utilisant ce type de support de diffusion, cette dernière se réfère à la pratique du happy slapping telle qu’elle est apparue en Angleterre à peine quelques semaines après le début de sa première présentation.

Ici, le téléphone portable se fait témoin d’une attaque dont Melanie constitue le principal objet. Il en garde en mémoire la trace comme s’il avait été utilisé pour en capter les images. En proposant des points de vue différents de la scène, les quatre mobiles dénoncent le caractère collectif de l’agression. Dans le pire des cas, ils assimilent le visiteur à l’un des responsables de l’incident ; au mieux, il en fait son complice en tant que récepteur des images filmées.

Le choix de localiser l’installation, au cours de sa première présentation, dans le vestiaire de l’Institut finlandais de Paris, induit un caractère dérobé de sa réception. C’est en effet légèrement en retrait de l’exposition Epreuves du Temps que le visiteur est incité à prendre connaissance des images, comme s’il devait se mettre à l’abri du regard des autres pour les apprécier. L’étroitesse du lieu exclue une présence trop importante de personne. Emplacement de dépôt d’affaires personnelles, le vestiaire est également, comme le coffre et la consigne dans les films d’Alfred Hitchcock, l’expression d’une intimité. Il renvoie à l’idée d’une dimension cachée de l’individu, une part d’obscurité cachée sous le masque des apparences.

Le visiteur a toutefois le choix d’échapper à cette situation en endossant le rôle de la victime comme il le ferait en mettant un manteau. Il peut en effet se tenir dans le carré que délimitent les quatre portables et adopter, comme s’il se tenait dans la cabine téléphonique, le point de vue de Melanie sur le drame. L’étroitesse du vestiaire n’est d’ailleurs pas sans rappeler le caractère exigu du refuge du personnage hitchcockien. Montrant tantôt l’attaque du port telle qu’elle peut être observée depuis la cage de verre, tantôt Melanie au moment de l’assaut, les quatre montages adoptent alternativement des points de vue objectifs et subjectifs sur la scène. Ils incitent ainsi le visiteur à un basculement continuel entre des positions de victime et de bourreau. A la fois capteurs et diffuseurs d’images, pouvant être saisis et retournés aisément, voire être observés depuis le centre du vestiaire ou plus en périphérie, les téléphones portables engagent les mêmes effets de revirement.

Malgré cette possibilité de diversion, l’attitude du spectateur se trouve naturellement dénoncée. Saisi entre compassion et fascination morbide, identification et distanciation, il adopte une position d’autant plus ambiguë que la représentation de la cabine téléphonique induit un rapport possible avec le personnage de Melanie par téléphone interposé. Appelé à l’aide mais ne pouvant guère d’agir comme l’est souvent implicitement le spectateur dans les films d’Alfred Hitchcock, il est réduit à une position de voyeur complaisant dont on se serait assuré du silence et de la complicité.

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